Remise à chaque nouvel initié dans les loges de la Fédération, la Charte de la Maçonnerie Traditionnelle Libre constitue le texte essentiel, fixant les principes intellectuels et spirituels de la LNF, définissant les sources des Rites qu'elle pratique et prescrivant les usages symboliques fondamentaux de ses loges. Rédigé alors même que la jeune Fédération n'avait pas un an d'existence, il représente sans aucun doute le meilleur témoignage de l'esprit que ses fondateurs voulaient y développer.
Dès le Titre 1er, le ton est donné, et les difficultés commencent, si l'on se souvient de l'époque de sa rédaction, avec une définition cursive de la franc-maçonnerie. Relisons-la simplement :
«La franc-maçonnerie est de nature spirituelle, religieuse et traditionnelle. Elle a pour but la transformation initiatique de ses membres par la méditation de la Loi d'Amour de L'Evangile de Saint Jean, et la pratique rigoureuse des usages, des rites et des cérémonies maçonniques. Cette transformation doit, et ne saurait s'opérer effectivement que dans un climat de tolérance, de modestie, de discrétion, de loyauté absolue, de calme et de courtoisie.
C'est pourquoi, poursuit le Titre II, la franc-maçonnerie doit bannir avec une extrême rigueur de ses Loges, sous peine de manquer à sa mission fondamentale, tout ce qui est contraire à ces définitions. Elle doit notamment se refuser à toute activité dans le domaine confessionnel, politique, social, économique et financier, ce qui est source abondante de mésentente et de conflits entre ses membres. Les Loges s'interdiront tout exposé ou tout travail sur ces sujets et leurs membres s'abstiendront de toute conversation de ce genre lors des réunions maçonniques quelles qu'elles soient. »
Reprenons quelques points remarquables. Celui-ci pour commencer : «La franc-maçonnerie est de nature spirituelle, religieuse et traditionnelle.» Que de commentaires le mot «religieuse»» ne pouvait-il manquer de susciter, hier comme aujourd'hui, dans un tel contexte ! Or cet exemple est une bonne illustration de la conception maçonnique de la LNF. En Maçonnerie on doit renoncer aux réactions superficielles, aux jugements hâtifs. La Loge n'est pas le Forum, et c’est précisément tout son intérêt et sa spécificité. Il ne faut donc voir ici aucun extrémisme provocateuret de mauvais aloi. A-t-on dit que la Maçonnerie était une religion ? Non, évidemment. Nul ne pourrait le dire, nul ne peut le penser. Mais qu'elle soit de «nature religieuse», que voulait-on suggérer en l'affirmant ainsi ?
Tout d'abord qu'il y a incontestablement à travers toute son histoire, depuis ses origines, une dimension communautaire de la Maçonnerie qui se réfère à la fonction essentielle des religions dans les sociétés traditionnelles: religare, c'est-à-dire réunir, rassembler, rapprocher au-delà des préoccupations du siècle, engager les hommes à regarder ensemble, plus haut, plus loin. Cette dimension fraternelle, constitutive de l'institution maçonnique, plonge à l'évidence ses racines dans la culture religieuse de l'Occident.
Ensuite, qu'on ne peut nier, précisément - et nous n'avons, quant à nous, jamais pu nous résoudre à le faire -, les fondements manifestement chrétiens des sources légendaires, des usages, des rituels et des symboles maçonniques. Or, l'engagement des fondateurs de la LNF était de se pencher avec attention sur ces sources, en toute rigueur, comme en toute liberté. Mais, aussitôt, et parce que la Maçonnerie n'est ni une religion ni une secte, on nous précise bien que cette approche ne peut et ne doit se faire que dans la «tolérance, la modestie, la modération, la discrétion, le calme et la courtoisie.» Le contraire de l'intégrisme, c'est tout simplement la liberté de l'esprit. Tenter de conduire ainsi une telle démarche d'approfondissement et de redécouverte déterminée de ses origines, c'était déjà cela, être un Maçon Traditionnel Libre.
La Maçonnerie est en effet un monde de symboles, ce qui ne veut pas dire, en vertu d'une signification singulièrement dévaluée du mot «symbole» qu'on reçoit parfois même dans les loges, qu'un symbole est une chose sans importance et peut-être sans contenu réel, puisque ce n'est... qu'un symbole ! La Maçonnerie ne procède pas par affirmation doctrinale, il est vrai, mais si la Maçonnerie n'a effectivement pas de dogme, cela ne signifie pas qu'elle soit dépourvue de principes fondateurs. Ces principes se retrouvent justement dans ses emblèmes et ses symboles séculaires, chargés de sens par conséquent. La préoccupation constante de la LNF fut de s'y rattacher et, en toute liberté, sans tabou ni exclusive, d'en retrouver la sève vivante.
Ainsi s'explique encore, comme le proclame la Charte, que les Maçons Traditionnels Libres aient adopté les armes exactes accordées en 1472 à la Compagnie des Maçons de Londres, et sa plus ancienne devise: « God is our Guide ». « Ce qui, précise immédiatement la Charte, doit s'entendre dans tous les sens, mais aussi et surtout au sens opératif, en se souvenant que l'Eternel sur le Sinaï, guida Moïse en lui donnant tous les plans du Tabernacle, qui devait lui-même être le modèle de Temple élevé à Jérusalem, sous les ordres du Roi Salomon, avec l'aide du Roi Hiram de Tyr et le précieux concours d'Hiram Abiff. »
En ce sens, notre devise « God is our Guide », qui pose en effet un choix spirituel qu'il faut comprendre, n'est cependant en rien l'affirmation péremptoire d'un catéchisme au nom duquel une Maçonnerie oublieuse de sa vraie nature pratiquerait l'inquisition des consciences, mais une invitation solennelle à suivre par l'esprit et le cœur les traces de nos ancêtres présomptifs, de ceux qui, dans le monde intermédiaire à l'histoire et au mythe, établirent toutes les légendes qui fondent aujourd'hui encore nos rites et donnent sens à nos symboles. S'engager dans cette démarche, à coup sûr exigeante, c'était encore cela, être un Maçon Traditionnel Libre.
Le refus, également énoncé dans la Charte, d'aborder dans le cadre du travail maçonnique les questions politiques, économiques et sociales, procède bien du même esprit. A quoi servirait la Loge si l'on n'y faisait que ce que l'on peut faire partout ailleurs ? Il ne faut pourtant pas, ici encore, se méprendre, sur ce que signifie cette position. La Loge, disais-je à l'instant, n'est pas le Forum. Mais c'est sur le Forum qu'agissent tous les hommes, dans leur vie de chaque jour, les Maçons au même titre que les autres. Or, la Maçonnerie accomplirait sans doute une partie de sa mission si les Maçons se conduisaient en effet mieux que les autres sur ce Forum. Dans la conception maçonnique qu'elle défend ainsi, la LNF a toujours souhaité que la méthode maçonnique, par la formation intellectuelle, morale et spirituelle qu'elle apporte à ses membres, par la faculté d'écoute et la tolérance à l'égard d'autrui auxquels elle les accoutume, en fasse des citoyens plus responsables et surtout plus éclairés, capables de faire en toute liberté les choix civiques qu'eux seuls peuvent fixer, et que la Maçonnerie, en tant que telle, n'a pas à leur dicter.